Il y a les habitués qui reviennent chaque année, et des nouveaux, venus s’essayer au travail sur le bois. Tous partagent une attirance inconditionnelle pour la matière noble. Rencontre avec les participants et leurs intervenants – les sculpteurs Cécile Devezeaux et René Prestat –, lors du séjour passion Sculpture sur bois, organisé à Serbonnes (Yonne), du 11 au 18 février derniers.
Dans la salle d’activités du centre CCAS de Serbonnes, transformée en atelier, résonnent des bruits sourds et réguliers. Chacun des participants autour de sa selle [établi, ndlr] de sculpteur, absorbé par sa création, s’affaire à sa besogne. Toc, toc, toc… les coups de maillet sur les gouges entaillent doucement les pièces de bois. Pas de gestes brusques mais de petites tapes fermes et ajustées, exécutées d’une main de maître. « Patience et longueur de temps… », dit la fable. Être en contact avec la matière, épouser ses contours, ébaucher la forme de son ouvrage, en exfolier le trop-plein pour lui donner du relief. Enfin, peaufiner sa sculpture afin d’en souligner l’expression. Si possible, lui insuffler une âme. Tel est le défi, l’épreuve d’artiste auxquels tous sont confrontés, qu’ils soient amateurs éclairés ou novices. « Travailler le bois est une activité sensuelle : il convient donc de faire connaissance avec la matière, sa densité, sa couleur, ses formes… C’est comme une personne que l’on déshabille, raconte Cécile Devezeaux, sculptrice et intervenante. Il y a une relation qui se crée entre la pièce de bois et son sculpteur. Une œuvre porte un message ; elle dit toujours quelque chose de soi. »
« C’est comme une colo pour adultes »
Patricia Badiou, 52 ans, agent EDF RTE Lyon (Rhône)
« C’est une première pour moi, même si j’ai déjà fait du modelage. J’aime tout ce qui est manuel, ce qui a trait à l’art. Et puis, j’adore le bois. J’ai choisi du thuya pour réaliser mon couple enlacé. Dès que je le gratte, il exhale un parfum : je me régale ! J’éprouve beaucoup de plaisir à travailler le thuya, il est très agréable au toucher ; j’ai un bon contact. Le début est cependant difficile. J’ai dégrossi mais j’avais du mal à visualiser la forme. Quand ta sculpture est bien avancée, là tu crains de donner le coup de trop, le coup fatal. Sculpter exige de la patience. Mais je me réjouis, c’est une vraie découverte ! J’apprécie le principe du séjour passion : se consacrer entièrement à une activité pendant sa semaine de vacances ; l’opportunité d’essayer toutes les choses dont tu as rêvé, enfant. Et pourquoi pas se trouver des centres d’intérêt pour la retraite et même des vocations… En fait, c’est comme une colo pour adultes. Moi qui ai toujours rêvé d’aller en colo ! »
« Je suis là par amour ! »
Bernard Gallien, 52 ans, ayant droit Lyon (Rhône)
« J’accompagne Patricia. Et aussi pour découvrir la sculpture sur bois. J’aurais tellement aimé exercer un métier en rapport avec le bois. Je participe pour la première fois à un séjour passion CCAS. C’est bien organisé, j’apprécie beaucoup les échanges entre les gens. L’intérêt du stage est de parvenir à sortir quelque chose d’une masse. J’ai choisi une pièce en noyer ; son aspect m’a inspiré la création d’un teckel. Je suis plutôt satisfait car j’ai réussi à le dessiner ; il prend forme. Reste à faire ressortir les expressions comme s’il était vrai. »
« Quelqu’un touché par l’art une fois l’est pour toujours »
André Christophe, 73 ans retraité, Viroflay (Yvelines)
« Trente ans que je sculpte le bois, le plâtre, la terre, la ferraille. Je m’y mets dès que j’ai un moment, dans mon atelier, chez moi. C’est mon quatrième séjour à Serbonnes. Je n’ai pas vraiment de problème avec la technique mais j’y reviens chaque année. À force, les intervenants sont devenus des amis. Disons que c’est ma parenthèse à moi, consacrée entièrement à la sculpture. Mon premier contact avec le bois remonte à l’enfance. Mon père et mon grand-père étaient bûcherons. Dans mon village natal vosgien, l’hiver, je taillais des petites cales qu’on glisse entre les tuiles des toitures. Mais moi, l’homme des bois, ce qui m’attirait c’était la sculpture sur pierre. Jeune agent EDF, j’ai effectué un voyage culturel en Italie avec la CCAS : Naples, Rome, Florence. Un séjour très important dans ma vie : une révélation artistique. Ensuite, durant mes vacances familiales à la CCAS, j’ai découvert le vitrail, la peinture, la mosaïque et même le théâtre grâce à un stage en Avignon. Pour découvrir la culture et les arts, la CCAS est fabuleuse ! Elle sème ses graines ; et quelqu’un qui est touché par l’art une fois l’est pour toujours ! »
« L’art, c’est du vécu »
Cécile Devezeaux, 50 ans, sculptrice, intervenante
« Les participants arrivent chacun avec leur expérience ; la plupart ont déjà une pratique de manufacture. Pas de cours théorique, on les immerge tout de suite dans l’univers du bois. C’est important qu’ils entrent en contact avec la matière, qu’ils soient attirés par elle, en sélectionnant eux-mêmes leur morceau. Un sculpteur doit être à l’écoute de la matière. Nous leur laissons également toute latitude pour choisir leur modèle. On s’adapte à l’envie de chacun. La liberté est indispensable pour créer, être soi-même. Nous, les intervenants, sommes là pour débloquer leur fibre artistique. Que les stagiaires fassent du figuratif ou de l’abstrait, sculpter reste une aventure, du ressenti, du sensitif. L’art, c’est du vécu. Une œuvre porte toujours un message, une partie de soi. L’essentiel est que les participants repartent avec ce pour quoi ils sont venus. N’oublions pas qu’ils sont en vacances, qu’ils sont venus aussi pour s’amuser, se faire plaisir. »
« Presque des cours particuliers ! »
Jean-Noël Perle, dit Janot, 46 ans, hydraulicien UP Cluses (Haute-Savoie)
« C’est mon premier séjour passion. On est un petit groupe avec deux profs. Finalement, c’est presque un cours particulier ! Je réalise surtout des bas-reliefs que j’ai apportés pour les fignoler. Comme je suis autodidacte, je viens apprendre les bases, m’améliorer. C’est l’occasion d’essayer la 3D. Je sculpte un buste de femme d’après une photo. Là, c’est bien plus compliqué : il faut garder les proportions. C’est pas gagné ! Il y a des moments où je galère ; j’en ai un peu marre ; je me dis que j’ai mis la barre trop haut. Alors, je vais faire un tour puis je m’y remets. Heureusement, Cécile et René [les intervenants, ndlr] nous aident bien. »
« Sublimer une pièce de bois »
Didier Martin, 62 ans, retraité de la centrale thermique de Cordemais (Loire-Atlantique)
« Je pratique le tournage sur bois et réalise essentiellement des bas-reliefs. Les outils me sont donc assez familiers. Je me débrouille mais je souhaitais acquérir des techniques complémentaires. Cette loupe d’orme m’a séduit ; en fait, c’est une excroissance provoquée par un champignon qui grossit sur le tronc de l’arbre. Là, je creuse un bas-relief d’après un modèle : une femme et son cheval sur une vague. C’est le mouvement qui m’a inspiré ; j’aime assez les lignes. Mais je fais aussi de l’abstrait. J’ai toujours apprécié de travailler le bois. Je trouve cela plutôt facile et très plaisant. Sculpter, c’est sublimer une pièce de bois. C’est la pièce d’origine qui vous attire et vous inspire. J’apprécie cette liberté. Si l’on a envie de toucher une sculpture, c’est, je crois, qu’elle est réussie. Ce premier stage remplit toutes mes attentes. Cécile et René se complètent parfaitement ; elle est dans la technique pure ; lui est autodidacte. »
« On fait selon nos envies »
Michel Paul, 68 ans, ancien agent EDF PI (petite intervention), Saint-Chamond (Loire)
« J’ai commencé à travailler le bois à ma retraite. C’est une activité très agréable, un grand moment de détente, un peu comme de la méditation. Chez moi, je mets France Musique, et je suis « barré », concentré sur mon sujet. Je bricole des petits objets : des nichoirs et mangeoires à oiseaux, des dessous de plat pour mon association les Amis de Doizieux. On les vend aussi pour le Téléthon. J’ai déjà participé à ce séjour l’an dernier ; ça m’avait bien plu. Je n’avais aucune notion de cette pratique malgré mon bricolage ; je voulais donc acquérir des connaissances, le b.a.ba de la sculpture. Là, je sculpte des poissons. Entre l’abstrait et le figuratif. Ce qui me convient, c’est l’espace de liberté qui nous est accordé. On fait selon nos envies. »
« Monsieur sans modèles »
Robert Perrier, 71 ans, retraité CNR de Lyon (Rhône)
« Je pratique la sculpture depuis 2009 sur différentes matières : bois, pierre et bronze. J’ai mon propre atelier et fais partie d’une association. Parfois, j’expose aussi à Rillieux-la-Pape, chez moi. Malgré tout, je participe régulièrement à des stages pour me perfectionner. Contrairement à la terre, on n’a pas le droit à l’erreur avec la pierre et le bois. Ce sont les différentes essences qui me plaisent dans le bois. J’ai choisi l’olivier. Je ne sais pas vraiment encore ce que je vais réaliser mais j’ai décidé de faire de l’abstrait. Je préfère l’art contemporain. Je travaille sans modèles. René m’a d’ailleurs baptisé ’Monsieur sans modèles’. Je laisse venir l’inspiration, en sculptant tout simplement. »
« J’en retiens toujours quelque chose »
Monique Alin, 68 ans, ayant droit à Aubagne (Bouches-du-Rhône)
« Trente ans que je pratique la sculpture, en terre principalement. J’ai appris toute seule mais je continue à prendre des cours. Je m’inscris aussi régulièrement aux séjours CCAS parce que j’en retiens toujours quelque chose. Concernant celui-ci, je souhaite apprendre de nouvelles techniques. Je reproduis une sculpture en terre que j’ai réalisée d’après modèle vivant. Ça n’a rien à voir avec le modelage ; c’est bien plus complexe. Le travail du bois nécessite de bien savoir manier les outils. Moi, je tenais mal la gouge [ciseau, ndlr] ; Cécile m’a expliqué comment la positionner correctement afin de façonner plus facilement. Faut pas se tromper, y aller mollo et en douceur. René m’a bien aidée ; il est assez extraordinaire. »
« C’est le bois qui doit inspirer les stagiaires »
René Prestat, 84 ans, sculpteur paysan, intervenant
« J’étais paysan. J’ai commencé à sculpter à la retraite. C’est un rêve d’enfant que j’ai réalisé. Je suis autodidacte. Je me définis comme un sculpteur paysan parce je crée essentiellement des scènes de la vie paysanne. La sculpture, c’est de l’émotion ! Il faut rester soi-même pour créer ce que l’on ressent ! Je respecte toujours le désir des participants, leur style. Je ne leur impose rien. C’est le bois qui doit les inspirer. La volonté est essentielle aussi pour fournir un peu d’efforts. Je sais, au début, c’est toujours compliqué, ça peut en rebuter quelques-uns, mais ensuite, très vite, on sent le bois sous les doigts. Ça fait dix ans que je collabore avec la CCAS. C’est un grand plaisir. C’est comme une grande famille. J’en apprécie l’ambiance, c’est fondamental, car il faut avoir envie d’être ensemble. »
« Établir des passerelles entre vacanciers et participants des séjours passion »
Monique Grusenmeyer, retraitée, responsable principale du centre CCAS de Serbonnes
« Les responsables principaux accueillent régulièrement des séjours passion. C’est un séjour à part mais qui, en même temps, fait partie intégrante du fonctionnement du centre. Il est à part, parce que les participants au séjour passion ont des besoins spécifiques en fonction de leur activité. Tout doit être prêt lorsque les stagiaires arrivent, pour qu’ils puissent immédiatement se consacrer à leur activité. En fait, je les accueille comme j’aimerais, moi, être accueillie. Je veille par ailleurs à ce que des passerelles puissent s’établir entre les vacanciers et les participants du séjour passion. Par exemple, que les premiers puissent venir voir l’activité et discuter avec les seconds. J’organise toujours un vernissage à la fin du séjour durant lequel les œuvres des collègues sont exposées. Une façon de valoriser les séjours passion et, pourquoi pas, de susciter l’envie d’en découvrir un. »
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