Traité sur la charte de l’énergie : le traité qui maltraite le climat

Mine de lignite de Garzweiler, en Allemagne, en 2018

Signé en 1994, le traité sur la charte de l’énergie permet aux multinationales du secteur énergétique d’exiger des compensations exorbitantes aux États qui décident de sortir des énergies fossiles. Ici, la mine de lignite de Garzweiler, en Allemagne, en 2018. ©Charles Crié/ CCAS

Sept pays européens, dont la France, ont annoncé leur volonté de sortir du traité sur la charte de l’énergie. Ce texte, qui protège depuis 1998 les intérêts financiers des entreprises investissant dans le charbon, le pétrole ou le gaz, est devenu un obstacle majeur à la lutte contre le réchauffement climatique.

Fin 2019, le gouvernement des Pays-Bas décide, sous la pression de la société civile, de fermer d’ici à 2030 ses dernières centrales à charbon. Un peu plus tôt, la Cour suprême du pays avait confirmé un jugement historique : la condamnation de l’État néerlandais en raison de son action insuffisante face au dérèglement climatique. Mais le 2 février 2021, la multinationale RWE lance à son tour une procédure judiciaire contre les Pays-Bas en invoquant le traité sur la charte de l’énergie (TCE). La société allemande, propriétaire d’une des centrales néerlandaises menacées de fermeture, veut être dédommagée du préjudice, qu’elle estime à 1,4 milliard d’euros.

Environ 150 litiges de ce type ont opposé une entreprise à un État souverain depuis l’entrée en vigueur du TCE il y a bientôt vingt-cinq ans. Parmi les innombrables accords de libéralisation du commerce, ce traité est celui qui a donné lieu au plus grand nombre de litiges. Il est devenu le symbole d’une Europe tiraillée entre l’ancien monde – celui des énergies fossiles – et le nouveau monde – celui des énergies renouvelables.

Alors que l’Union européenne (UE) affiche sa volonté de devenir le « premier continent neutre pour le climat », elle est toujours signataire de cet accord qui dissuade les gouvernements de mettre en place des politiques ambitieuses de transition énergétique.

Un traité « incompatible avec l’accord de Paris sur le climat »

« Ce traité est incompatible avec nos objectifs du Pacte vert, incompatible avec la loi de l’UE sur le climat, incompatible avec l’accord de Paris sur le climat, constate la députée européenne Marie-Pierre Vedrenne. Il faut maintenant que l’investissement public et privé se dirige vers des énergies propres. » Le 23 novembre 2022, l’eurodéputée a défendu une résolution au nom de son groupe parlementaire, Renew Europe (centre droit), demandant l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires engagées par des investisseurs contre des pays qui veulent se désengager des énergies fossiles. La résolution appelait aussi à mettre fin aux très controversés tribunaux privés devant lesquels une entreprise peut attaquer un État.

Des tribunaux privés au-dessus des lois

C’est un acronyme anglais qui fait peur à de nombreux pays signataires du traité sur la charte de l’énergie : ISDS ou mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.

Quand une entreprise estime que ses profits actuels ou futurs sont menacés par une loi ou une tarification votée par le Parlement d’un pays, elle peut l’attaquer devant un tribunal international privé constitué de trois juges désignés par les parties prenantes. Si une entreprise peut attaquer un État, l’inverse n’est pas possible. Les syndicats et les ONG ne peuvent pas non plus le faire.

Entre 2018 et 2022, la Commission européenne a tenté de sauver le TCE en essayant de le rendre climato-compatible. Peine perdue : dans sa nouvelle mouture, le texte met toujours les États à la merci de multinationales de l’énergie qui peuvent les faire condamner à de lourdes amendes. Soutenir ce traité est devenu tout simplement intenable. Après l’Italie en 2016, sept pays ont annoncé à l’automne dernier leur volonté de s’en retirer : les Pays-Bas, l’Espagne, l’Allemagne, la France, la Pologne, la Slovénie et le Luxembourg.

Pour Maxime Combes, économiste à l’Aitec (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs), comme pour l’ensemble des ONG en lutte contre le TCE, ces retraits en série constituent une victoire importante : « Ce traité retarde, renchérit ou bloque les politiques de transition énergétique », rappelle le chercheur.

Né au lendemain de l’éclatement de l’URSS, le TCE avait pour but de sécuriser l’approvisionnement des signataires en charbon, pétrole et gaz et de protéger les investisseurs qui souhaitaient tirer profit des énormes ressources fossiles de l’ancien bloc de l’Est. Il est devenu totalement obsolète. Et ses effets pervers s’étendent désormais à toutes les énergies.

La France attaquée par un producteur d’énergie solaire

Ces dernières années, en effet, l’Espagne s’est vu attaquée par de nombreuses entreprises lui reprochant d’avoir baissé son tarif de rachat d’électricité d’origine photovoltaïque. En septembre dernier, la France, à son tour, a été attaquée par une entreprise allemande pour le même motif. Le TCE peut aussi être invoqué par des fournisseurs d’électricité ou de gaz qui veulent s’en prendre à des lois sociales qui leur seraient défavorables.

En 2007, « le TCE a été utilisé par une entreprise pour s’attaquer à une loi hongroise limitant le prix de l’électricité payé par la population, relate Félix Mailleux, conseiller à la Confédération européenne des syndicats sur les questions de climat, d’énergie et de politique industrielle. Il peut donc mettre en péril certaines politiques de lutte contre la précarité énergétique alors que les prix de l’énergie explosent. »

Un pays qui quitte seul le TCE peut se voir attaquer par une entreprise pendant encore vingt ans. Pour échapper à cette clause, la meilleure solution pour l’Europe est d’organiser une « sortie coordonnée ». C’est nécessaire et possible, estiment Marie-Pierre Vedrenne, Maxime Combes et Félix Mailleux.

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