C’est l’histoire de Banane, Chingo, Bigoudi et Loulou, quatre copains de colo aujourd’hui retraités, qui ont réussi un pari fou. Pour Jean-Michel, Jean-Marie, Alain et son frère Dominique, « Trégastel 1969 » est restée à jamais gravée dans leur mémoire. À tel point que les quatre gamins du Berry ont recherché, cinquante-trois ans plus tard, leurs animateurs de l’époque pour des retrouvailles pleines d’émotion.
Février 2022. Jean-Michel, alias « Banane », est dans les cartons en plein déménagement. Il tombe par hasard sur un cliché, tiré d’un argentique qui sublime l’authentique, quatre gamins de 15 et 16 ans prennent fièrement la pose comme pour mieux figer l’instant magique. Au dos de la photo : « Trégastel 1969 » ! Ce fameux été en Bretagne ! Avec ses fulgurances, ce sentiment de plénitude, en cette « année érotique » chantée par Birkin et Gainsbourg.
Les quatre, ce sont lui, Jean-Marie (Chingo), Alain (Bigoudi) et Dominique (Loulou), des copains inséparables depuis leur enfance dans le Cher. Nés dans les années 1950, ces fils de monteurs électriciens au district EDF de Culan sont soudés par un parcours commun, de la primaire à l’internat du lycée, en passant par le foot. Désormais retraités, ils ne cessent de cultiver leur amitié. Et de faire revivre le passé.
Chaque année, les retrouvailles de ces « tazons » (des « gens tranquilles, pas pressés », en berrichon) sont l’occasion entre autres de repartir en arrière : replonger dans le souvenir des colos CCAS qu’ils ont fréquentées de 6 ans jusqu’à 18 ans pour la plupart d’entre eux.
De grands enfants biberonnés à l’éducation populaire
Ah, les colos… La pesée à l’arrivée et au départ, les pataugas, les jus de pomme et autres pâtes de fruits au goûter, et l’évasion vers de nouveaux horizons sont d’authentiques pépites pour ces « grands enfants » biberonnés à l’éducation populaire ! Car, à Culan, dans ce village du centre de la France « où il n’y avait même pas de cinéma », les loisirs à l’époque, c’est foot et activités de plein air. Pour les parents, souvent modestes, pouvoir offrir un mois de colo CCAS aux enfants est donc un privilège… Et pour les gamins, c’est du luxe ! « Pour moi, c’était l’occasion de quitter la famille et de s’aérer, raconte Jean-Michel. Car nous étions dix à la maison. »
« Dans ces années, les colos avaient un rôle autant sanitaire qu’éducatif. C’est là-bas qu’on a appris à se brosser les dents, souligne Dominique. Et, outre le fait de découvrir d’autres régions, on découvrait d’autres accents dans le centre de vacances… Toute cette diversité nous nourrissait. C’était une sorte de tremplin vers l’autonomie. Et une véritable échappatoire. La liberté totale ! » Une liberté si bien incarnée sur la photo jaunie que Jean-Michel tient à la main en ce jour de déménagement.
Les quatre copains et leurs anciens moniteurs, en 1969 et en 2022 : Jean-Michel « Banane » Audebert, Dominique « Loulou » Glaumot, Alain « Bigoudi » Glaumot, Jean-Marie « Chingo » Desjardins, Jean-Pierre et Christine Heintz.
Un mois « exceptionnel » selon Alain ; « des vacances que je place sur le podium de toutes celles que j’ai passées, ose Jean-Marie. C’est la première fois que nous étions réunis tous les quatre ». Cette colo caravane « où [ils n’ont] vu qu’une fois la mer », tant ils étaient happés par une soif d’émancipation. La lettre de la mère d’Alain et Dominique qui disait : « Les jours passent sans nouvelles… je ne vous croyais pas aussi indifférents. » Alain s’en souvient encore. « Plus tard, lorsqu’on a évoqué ce moment avec elle, elle nous a dit : vous êtes revenus transformés de là-bas. »
Trégastel, pour la bande des quatre, c’est le trajet en train, le train qu’ils prennent seuls pour la première fois et dans lequel les prémices des premiers émois s’esquissent. « On croise les filles de Nevers, qui se dirigent, elles aussi, vers cette première colo mixte, un événement à cet âge-là. » Mais c’est surtout la rencontre d’un mono pas comme les autres. Une véritable révélation pour ces ados en pleine construction. Ce mentor qui, « en compagnie de sa copine Christine, fille d’agent EDF et animatrice des filles, nous a embarqués dans son univers culturel pour des moments inoubliables », se souvient Dominique.
Évoquer Trégastel, c’est retrouver celui « à qui on voulait ressembler à l’époque ».
Cet inspirateur, ce « catalyseur » de groupe, Jean-Michel veut le revoir. Lui, le leader de la bande à l’époque, le téméraire… qui un jour, alors qu’il est responsable du « budget bouffe » pour le groupe en rando, se « casse la gueule en vélo et perd tous les sous ». Le souvenir est encore vivace pour Jean-Marie : « Les deux derniers jours, nous avons mangé de la purée à l’eau de mer. » Il en est convaincu : évoquer Trégastel, c’est retrouver celui « à qui on voulait ressembler à l’époque ». Cet étudiant en IUT carrières sociales, qui faisait du théâtre amateur à Poitiers et de la musique et qui leur a donné tant d’assurance. « Il nous a désinhibés par la pratique du théâtre, par sa façon d’être, par sa pédagogie », raconte Alain.
Alors, Jean-Michel se lance dans des recherches sur le Net. Tombe sur un Jean-Pierre Heintz – ce nom fait tilt –, un homme qui a apparemment embrassé une carrière brillante : après avoir intégré le département des affaires internationales du ministère de la Culture, en tant que chargé de mission pour l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, la francophonie et l’exportation des industries musicales, il a été directeur des affaires culturelles de La Rochelle de 1987 à 2012, et est l’auteur d’« Étrangers et si familiers ». Et il est toujours avec Christine !
Alors, Jean-Michel tente… Et laisse un message : « Bonjour Jean-Pierre, c’est Banane ! si vous vous rappelez de moi, et si vous êtes la bonne personne, n’hésitez pas… » Trois jours plus tard, il reçoit un laconique : « Bonne pioche. »
Autant le but des colos était de s’affranchir des différences [sociales], autant cinquante-trois ans plus tard, est-ce possible ?
Entre excitation et interrogation, les retrouvailles se dessinent. Chez les copains, le doute s’installe. Notamment pour Alain. « Ce qui est important à nos yeux l’est-il autant pour eux ? » Dominique, lui, se pose la question de la barrière sociale… « Autant le but des colos était de s’affranchir de ces différences, autant cinquante-trois ans plus tard, est-ce possible ? Car, sans nous dénigrer, nous étions assez impressionnés par [la] carrière [de Jean-Pierre]. » Et les vides alors ? Ces blancs dans la discussion, que redoute tant Jean-Marie…
Août 2022. Chez « Banane », dans le Berry. Dehors dans le jardin, Jean-Pierre et Christine étalent les photos. Pour le couple, qui ne s’est jamais quitté, l’émoi est tout aussi fort que chez les anciens colons. Trégastel, leur seule et unique colo, est inscrite dans le marbre.
Depuis cet été 1969, les petits gars de Culan, eux, sont soigneusement rangés dans un album souvenir. Pour « Banane », « Chingo », « Bigoudi » et « Loulou », les doutes sont définitivement dissipés. Et les discussions, les moments de communion peuvent alors affluer. Ils dureront trois jours ! Rassemblés autour de leurs moniteurs, ceux qui s’étaient donné rendez-vous dans 50 ans, même jour, même heure, y’a bien longtemps, ont même composé une ritournelle, qu’ils ont chanté sur l’air de « Quand le bateau viendra », d’Hugues Auffray.
Retrouvailles Trégastel 1969
Sur l’air de « Quand le bateau viendra » d’Hugues Auffray
Nous sommes là ce soir, chez Banane à Gouttenoire
Pour vivre ce moment, exaltant,
Pour partager l’amitié et la joie des retrouvailles,
Oui, Christine et Jean-Pierre sont là.
Et ils sont bien là, venus nous revoir,
Pour se remémorer l’histoire,
De ce camp d’ado qui marqua nos vies,
Et qui aujourd’hui tous nous unis.
Ce fut la rencontre, de 4 gars d’Culan,
Avec des monos, épatants,
Nous venions des terres, découvrir la mer,
Mais cela n’était pas important.
Tout ce qui comptait, c’était être ensemble,
Et de vivre le, moment présent,
Le foot, le théâtre, et les chansons le soir,
Restent gravés, dans nos mémoires.
Les sorties du camp, étaient peu nombreuses,
Celles à vélo, aventureuses,
Pédaler en côtes, était parfois dur,
Mais chacun allait à son allure.
Ce super séjour, nous a tant appris,
Et chacun s’y est épanoui,
Et c’est au moment de se séparer,
Que beaucoup de larmes ont coulées
Nous sommes là ce soir, chez Banane à Gouttenoire
Pour vivre ce moment, exaltant,
Pour partager l’amitié et la joie des retrouvailles,
Oui, Christine et Jean-Pierre sont là.
Oui, Christine et Jean-Pierre sont là !