Le 17 janvier dernier, la CMCAS Valence organisait une conférence-débat sur les « troubles dys », troubles spécifiques du langage et des apprentissages comme la dyslexie. Dans l’une des salles de l’espace information du public du CNPE de Tricastin (Drôme), une trentaine de bénéficiaires ont pu échanger avec le docteur Charles Rouyer, neurologue, spécialiste des troubles de l’apprentissage.
On évalue actuellement à 6% la proportion de Français·es concerné·es par la dyslexie. Véritable handicap, ce trouble de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture engendre malheureusement, comme tous les « troubles dys », des répercussions néfastes pour les personnes atteintes. Repli sur soi, perte de confiance, échec scolaire, etc., sont autant de barrières et de difficultés à une « bonne » intégration sociale.
Pour briser les tabous, comprendre et agir, la commission Action sanitaire sociale et handicap de la CMCAS Valence, sous l’impulsion du président de la CMCAS, Éric Barbry, a donc organisé une conférence d’information, le 17 janvier dernier, au CNPE de Tricastin. Animé par le docteur Charles Rouyer, neurologue, l’échange a eu le mérite de susciter le débat et d’apporter une expertise, à défaut de tout résoudre.
« Troubles dys »: kézako ?
Dyslexie, dysorthographie, dyspraxie, dyscalculie, troubles d’attention avec ou sans hyperactivité… Regroupés sous le nom de « troubles dys », ces troubles spécifiques du langage et des apprentissages naissent dans l’enfance et persistent dans le temps, jusqu’à l’âge adulte. Les signes les plus fréquemment observés étant liés à la performance scolaire, les enfants atteints de « troubles dys » sont souvent repérés lors de leur entrée en maternelle : leur retard ou leurs difficultés scolaires sont bien dus à un handicap cognitif, qui affecte la capacité à maîtriser le langage oral ou écrit, les gestes ou la motricité.
La rééducation (orthophonie, psychomotricité, ergothérapie, orthoptie…) est un élément essentiel du projet de soin, qui peut être mis en œuvre dès le plus jeune âge, si un ou plusieurs « troubles dys » sont repérés (voir : Repérage et dépistage des troubles dys dès la petite enfance, par la Fédération française des dys).
Chaque année depuis 2007, la Fédération française des dys organise une journée nationale d’information et de sensibilisation partout sur le territoire, aux alentours du mois d’octobre.
Pour le spécialiste, « dès l’âge de 6 ans, il peut y avoir des signes prémonitoires, nécessitant une série de tests ». Mais l’équation semble toutefois difficile à résoudre, car, poursuit-il, « en France, nous n’avons malheureusement pas une grande culture neurologique. Or, pour poser un diagnostic, il faut un avis médical. Et plus tôt il est établi, plus vite on peut mettre en place un projet pédagogique. La dyslexie n’est pas une maladie, c’est un trouble qui se rééduque et se corrige. »
Si le droit reconnaît la dyslexie et les autres troubles dys comme des handicaps, la mise en œuvre des moyens humains, financiers et matériels pour l’accompagnement des enfants et ados concerné·es repose encore malheureusement sur la bonne volonté des enseignant·es et celle des académies. Sans forcément désigner de coupables, Charles Rouyer et les familles ont souligné l’enjeu politique que représente l’inclusion des jeunes « dys » dans la scolarité, partout sur le territoire.
En témoigne le documentaire franco-belge « Maux de lettres, mots de l’être », sobre et bouleversant, projeté en prélude aux échanges. Produit par la Fondation Dyslexie, il révèle tout autant les blessures que les réussites professionnelles de ces enfants et adultes dyslexiques, dotés de facultés intellectuelles remarquables, mais au parcours scolaire vécu comme un chemin de croix.
À l’écran, ils et elles témoignent des souffrances endurées face à une attitude parfois dogmatique du corps enseignant, où la communication, impossible, est inexorablement sanctionnée par une note. Dans le public, les prises de paroles teintées de détresse et de désarroi déferlent alors. Comment détecter au plus tôt la dyslexie ? À quel moment se dit-on que l’orthophoniste ne suffit plus ? Et comment faire pour prendre en charge au plus tôt des enfants atteints de « troubles dys », qui affectent leur scolarité et, par ricochet, leur vie en communauté ?
Une charge contre l’Éducation nationale
La trentaine de personnes invitées par la CMCAS, en majorité des parents d’enfants dyslexiques, ont pu confronter leur vécu aux analyses aiguës et au constat acerbe du Dr Rouyer, lequel accuse l’Éducation nationale de « discrimination envers les dyslexiques et autres dys ». Fustigeant la méthode globale d’apprentissage, le professionnel de santé exhorte ainsi les parents à ne pas se résigner, mais bien à revendiquer leurs droits. « Il existe des lois qui permettent une meilleure prise en charge des enfants mais elles sont volontairement ignorées par les enseignants. »
Si la loi de février 2005, dite loi pour l’égalité des droits et des chances, a permis une évolution importante puisque « le handicap cognitif a été reconnu, ouvrant droit à une compensation par des aides humaines, matérielles et pédagogiques », via un projet personnalisé de scolarisation (PPS) financé par l’Éducation nationale, le trouble persiste à l’école. Car au-delà des aménagements existants pour les épreuves comme le brevet des collèges ou le baccalauréat en direction des dyslexiques, ce sont bien les moyens mis en œuvre dès le plus jeune âge qui continuent de poser problème, augurant d’un flou persistant pour les parents sur les conditions de l’accueil de leur enfant.
En effet, ils et elles sont confrontés, dans la pratique, aux contre-indications de certaines académies ou maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), leur signifiant que les « troubles dys » ne relèvent plus du champ du handicap, et qu’ils entraînent, de fait, une autre prise en charge : le plan d’accompagnement personnalisé (PAP), essentiellement basé sur la pédagogie, et financé dans sa totalité par les familles.
Moi, Célian, 12 ans, dyslexique
« Avoir mis des mots sur ses maux », selon ses termes, l’a aidé à mieux appréhender la vie et à se connaître lui-même. Souffrant de dyslexie et de troubles de l’attention, Célian, 12 ans, est suivi par le docteur Rouyer. Le jeune collégien évoque son parcours scolaire, fait de hauts et de bas. Du CP, où Célian se sentait « nul et en souffrance », jusqu’au CM1, lorsque sa maîtresse s’est battue pour qu’il ait droit à une auxiliaire de vie scolaire (AVS). Au primaire, Célian fuit les lettres et les mots pour se réfugier dans l’histoire et les maths, deux matières où il excelle, au point d’épater les autres, « qui eux ne [l]e comprennent pas ». Surtout lorsque, de tête, il résout instantanément 32 x 64 ! Pourquoi cette multiplication et pas une autre ? Le jeune homme l’ignore.
Mais il est déjà conscient de ses capacités, de ses lacunes aussi, et de sa propension à transgresser les règles et à défier ceux qu’il n’aime pas : « L’école, ça me plaît, mais pas l’injustice ! » Injustice qui, à cet âge-là, peut être protéiforme et cruelle. Les notes, le regard malveillant, l’indifférence ou les railleries sont autant de blessures qui poussent le garçon à « se cacher » derrière son handicap. Une sorte de carapace mais aussi de boomerang lancé avec malice à ses détracteurs.
Sociable, affable, il ne demande qu’à être « écouté, respecté et aidé par les adultes », car il a « besoin de vrais échanges ». Amateur de bande dessinée et de romans, passionné de natation et de piano, Célian n’a cependant pas tout à fait dissipé ses peurs et ses doutes. Pour lui, l’écriture demeure un fardeau (« je n’ose pas écrire car tout simplement j’écris mal ! »), fardeau que le temps et la pratique viendront sans nul doute atténuer. « Je voudrais être archéologue plus tard. J’ai toujours adoré les fouilles… et les dinosaures, bien sûr ! Et même si je dois faire de longues études, ça ne me fait pas peur. »
Entre la remise en cause des pratiques de l’Éducation nationale, le changement des mentalités et des regards, la question des « troubles dys » n’a pas fini de faire débat. Mais les témoignages des participants et les mises en garde du neurologue ont surtout démontré qu’en France (et dans le monde) le refus de valoriser la différence, en la sous-estimant de surcroît, est sans nul doute d’ordre culturel. Si la conférence organisée par la CMCAS Valence ne pouvait permettre d’apporter une réponse définitive, elle a permis de creuser un espace de parole et d’information sur les différences et les ressemblances : cette question d’éducation populaire avait, sans conteste, toute sa place dans les Activités Sociales de l’énergie.
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