Le « modèle danois », quoique de moins en moins protecteur, continue de susciter beaucoup de fantasmes. Il est pourtant basé sur un compromis social et culturel difficilement imitable. Qu’en pensent les premiers concernés ? Reportage au Danemark, où nous avons rencontré syndicats, patronat et demandeurs d’emploi.
Flexibilité pour les entreprises, sécurité pour les chômeurs, incitation au retour à l’emploi. Voilà les trois piliers de la « flexisécurité » à la danoise. D’un côté, on rend les licenciements et les embauches plus faciles. De l’autre, on garantit aux chômeurs un bon filet de sécurité tout en les aidant à retrouver rapidement du travail.
À mi-chemin entre libéralisme économique et État providence, le « modèle danois », parfois appelé modèle nordique, est devenu la référence incontournable de nos responsables politiques. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron : tous ont succombé – du moins dans leurs discours – aux sirènes de ce modèle. Mais les encenseurs du modèle danois, dans l’Hexagone comme ailleurs en Europe, oublient souvent deux choses fondamentales.
Des droits sociaux revus à la baisse
Premièrement, ce système est par essence dynamique et évolutif, puisqu’il est basé en grande partie sur la primauté de la négociation entre patronat et syndicats. Spécificité danoise, l’État n’intervient ni dans la fixation des salaires ni dans la détermination des conditions ou du temps de travail. C’est lui, en revanche, qui fixe les indemnités chômage et les conditions d’obtention de ces indemnités.
Or, celles-ci se sont nettement durcies depuis une vingtaine d’années, au fil des réformes. Jusqu’en 1999, un·e Danois·e pouvait être indemnisé·e pendant six ans suite à un licenciement. Cette durée a été ramenée à 4 ans, puis à 2 ans (comme en France). Le montant des indemnités a également chuté. Enfin, depuis 2015, les chômeurs et les chômeuses sont parfois obligé·es d’accepter une formation ou un emploi, y compris loin de leur domicile, comme le notait en 2016 Christelle Meilland, chercheure à l’Institut de recherches économiques et sociales. Même si l’emploi n’a rien à voir avec leurs compétences.
Une confiance tissée de longue date
Deuxièmement, le modèle danois ne pourrait fonctionner sans une très grande confiance entre syndicats et employeurs. Cette confiance est le résultat d’une longue histoire dont l’acte fondateur date d’il y a plus d’un siècle : en septembre 1899, à l’issue d’un dur conflit, un compromis a instauré la paix sociale et la primauté de la négociation dans les entreprises. Résultat : au Royaume du Danemark, les grèves sont devenues extrêmement rares. Le management au sein des entreprises reflète ce particularisme nordique : elles sont « organisées de manière non hiérarchique », avec « un leadership non autoritaire centré sur l’employé », explique Alain Lefebvre, journaliste ayant longtemps vécu en Scandinavie, dans son livre « Macron le Suédois ».
Au final, le système danois qui fait tant fantasmer nos leaders politiques est à la fois « complexe et très coûteux », résume Thomas Mølsted Jørgensen, consultant au ministère du Travail danois. Ainsi, par exemple, le Danemark dépense deux fois plus que la France pour aider chaque demandeur d’emploi à retrouver du travail. Comme le dit Thomas Mølsted Jørgensen, « chez nous, les gens n’ont pas peur de se retrouver au chômage ».
Que pensent les Danois·es de leur « modèle » ?
Nous avons interrogé trois personnes à Copenhague, à la sortie d’un Job Centre, l’équivalent de notre Pôle emploi.
« La flexibilité, c’est très danois, et je crois que c’est une bonne chose. Depuis un an, je travaille une semaine sur deux. J’ai demandé à mon chef de passer à mi-temps et il a tout de suite accepté. J’ai fait de longues études et je veux explorer d’autres choses dans ma vie professionnelle. En fait, je ne me suis jamais arrêtée d’étudier ! (rires). »
« Je cherche un emploi depuis l’été dernier. J’aimerais travailler dans les ministères, pour avoir la sécurité de l’emploi et parce que dans les entreprises privées, il faut travailler plus. C’est bien d’avoir un système protecteur pour les demandeurs d’emploi. Sans cela, je ne pourrais pas survivre. Mais il faut aussi pousser les gens à chercher du travail. »
« Je suis sans emploi depuis trois mois. J’ai moins confiance en moi qu’auparavant. La flexibilité de notre système me plaît bien. Je n’aimerais pas travailler avec des collègues qui n’ont aucune envie de rester dans l’entreprise et dont l’employeur ne peut pas se débarrasser. Ici, c’est assez facile de retrouver un emploi. Du moins si on sait se vendre… »
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