Au tournant du XXe siècle, alors que les voitures électriques battent des records de vitesse en France et en Europe, des entreprises commencent à miser sur leur circulation en ville, où la recharge des batteries est moins problématique. C’est le premier épisode de notre série sur l’histoire du véhicule électrique.
En 1894, le quotidien « le Petit Journal » organise une course automobile entre Paris et Rouen. Aucune des quatre voitures électriques engagées (sur 102 participants) ne figure sur le podium. Lors du Paris-Bordeaux organisé l’année suivante, l’inventeur Charles Jeantaud, pionnier en France des voitures électriques, qui se lance dans la course à bord d’une de ses inventions, termine bon dernier. Autant dire qu’en cette fin de XIXe siècle, qui voit naître l’automobile, la voiture électrique n’est qu’une des options, et pas la plus en vogue, parmi les ingénieurs et les passionnés de mécanique. Il y a en effet beaucoup de progrès techniques à accomplir sur les dispositifs de recharge des accumulateurs, pour atteindre une vitesse et une autonomie rivalisant avec celles des voitures à moteur thermique. Ces problèmes sont cependant résolus un à un durant la décennie 1890.
Photographies de deux modèles de véhicules électriques et plans techniques correspondants. Source: gallica.bnf.fr / BNF
Les entreprises investissent, pas les particuliers
La nécessité de disposer d’infrastructures complexes pour la recharge des batteries dissuade à l’époque les particuliers de s’équiper en voitures électriques. En revanche, les compagnies de taxis ou de fiacres y ont grand intérêt. En juin 1898, un concours de fiacres automobiles est organisé dans Paris : onze des douze concurrents sont électriques. Un jeune ingénieur d’à peine 30 ans, Louis Krieger, se distingue en présentant sur la ligne de départ trois véhicules issus de ses ateliers. Il invente en particulier la traction avant et l’application directe du moteur à la roue, qui vont se révéler, durant la course, les solutions les plus fiables.
Seules de grandes sociétés ont la capacité d’investir dans des salles de charge indispensables à la mise en circulation de voitures électriques. Sources : gallica.bnf.fr/BNF et Bibliothèque numérique en histoire des sciences.
Une première entreprise est créée la même année, dédiée à la production de masse des fiacres électriques : la Compagnie française des voitures électromobiles. Elle installe également dans Paris, rue Cardinet, une station de recharge capable de traiter 40 véhicules à la fois. L’année suivante, la puissante Compagnie générale des voitures, qui dispose d’une cavalerie de quelque 12 000 chevaux, est une des premières à franchir le pas de la mécanisation. Elle lance ses premiers fiacres électriques dans Paris, après avoir assuré la reconversion de ses cochers en chauffeurs dans une école créée dans ce seul but à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
Louis Krieger, de son côté, crée la Compagnie parisienne des véhicules électriques, et invente en 1904 l’Electrogenia, premier véhicule hybride français, qui relie Paris à Châtellerault sans recharges. Au tournant du siècle « la voiture électrique s’affirme désormais comme une option crédible dans le cadre d’une mobilité urbaine bien gérée », écrivent les historiens Pascal Griset et Dominique Larroque dans « l’Odyssée du transport électrique » (EDF-DTVE/Cliomédia, 2006).
Pour les longues distances, le moteur électrique reste surclassé par le thermique. Mais pour les courtes distances, en particulier urbaines, il domine son rival. « La voiture électrique est sans contredit la voiture automobile idéale, en ce qui concerne la facilité de mise en route et de manœuvre, la propreté, l’élégance, la sûreté de marche, l’absence de bruit, de trépidation et d’odeur. Nul autre système ne peut actuellement lui être comparé comme voiture de ville ou de promenade », affirme en 1901 la revue scientifique « la Nature ». De plus, la conduite du véhicule électrique est bien plus simple, puisqu’il n’y a pas à maîtriser les changements de vitesse. Un argument de poids, alors que se multiplient les nouveaux chauffeurs… et les accidents de la circulation causés par les plus maladroits d’entre eux.
Des records de vitesse
La rapidité potentielle du véhicule électrique est son point fort, bien plus que son autonomie. Une voiture inventée par Charles Jeantaud, dont on a raconté plus haut les déboires dans le Paris-Bordeaux de 1895, emporte le concours de vitesse sur une piste de deux kilomètres spécialement aménagée dans la zone des champs d’épandage d’Achères, au bord de la Seine. Avec 63,15 km/h, vitesse homologuée le 18 décembre 1898, la voiture pilotée par le comte de Chasseloup-Laubat devance de 6 km/h son plus proche concurrent à moteur thermique.
Mais ce record pique la fierté de Camille Jenatzy, un ingénieur belge dirigeant la Compagnie générale des transports automobiles, qui construit et loue des véhicules électriques à Paris. Celui que l’on surnomme le Diable rouge en raison de sa barbe rousse atteint 79,9 km/h le 27 janvier 1899. Les duels se succèdent sur la piste d’Achères, et les records ne cessent de s’accroître… jusqu’à ce que Jenatzy, au volant de sa « Jamais contente », profilée en forme d’obus, dépasse la barre symbolique du 100 km/h le 1er mai 1899. Chasseloup-Laubat et son constructeur, Charles Jeantaud, jettent l’éponge. Alors que débute le XXe siècle, la voiture électrique semble être promise à un avenir radieux.
À suivre…
Épisode 2
Les années 1930 : quelques décennies de relégation