Reportage aux Rencontres internationales du moyen-métrage de Brive, où un jury de bénéficiaires de la CMCAS Tulle-Aurillac a décerné le prix des Activités Sociales au film « Planète triste », de Sébastien Betdeder, qui sera projeté dans le cadre des rencontres culturelles de la CCAS l’année prochaine.
Visage concentré, regard posé sur leur grille d’appréciation, ils sont cinq autour d’une grande table en bois, à la terrasse du bar-restaurant Un singe en hiver, référence au film d’Henri Verneuil sorti en 1962. Le clin d’œil s’arrête là car, pour les membres du jury des Activités Sociales de l’énergie, il ne s’agit pas de s’immerger dans les années Gabin-Belmondo.
Le réalisateur auquel ils vont décerner leur prix dans trois heures est un cinéaste d’aujourd’hui, l’un des 22 en compétition aux 19es Rencontres internationales du moyen-métrage de Brive-la-Gaillarde. L’enjeu du moment ? Choisir dans la large sélection de films celui qui sera projeté l’an prochain dans nos villages vacances.
« En un, je choisis ‘Planète triste’; en deux, ‘De la folie des hamsters’; en trois, ‘S’il-vous-plaît arrêtez tous de disparaître’. » Comme Daniel Dexet, retraité d’EDF, chaque membre du jury commence par annoncer ses deux ou trois films préférés, en respectant le mieux possible la grille des critères : les valeurs de dignité, de justice et de solidarité sont-elles présentes dans ce film ? Celui-ci délivre-t-il un message ? Est-il constructif ? Peut-il être montré à un public familial dans des centres de vacances ? Sauriez-vous expliquer à vos collègues pourquoi il vous a touché ? Pas facile de trouver la perle rare qui réponde à ces exigences tout en suscitant l’enthousiasme des jurés. D’autant que les films présentés dans ce festival singulier s’éloignent parfois beaucoup des codes habituels du cinéma grand public.
Choix du cœur ou de la raison ?
Christophe Goursau, récemment élu administrateur de la CMCAS Tulle-Aurillac, tient à partager son coup de cœur pour le documentaire réunionnais « Lèv la tèt dann fénwar » (« Quand la nuit se soulève »). Chargé d’affaires au centre d’ingénierie hydraulique d’EDF à Brive, le quadragénaire a été très touché par ce portrait d’un ouvrier déraciné, qui nous plonge dans les eaux troubles de la France postcoloniale. « À EDF, il y a des Réunionnais dans les équipes. Ils parlent tous de ce déracinement. Le film relate parfaitement ce que ces gens ont pu vivre », témoigne-t-il.
Faut-il opter pour un film engagé politiquement ? Peut-on faire un choix vraiment audacieux ? Le débat s’installe au sein du jury. En matière d’audace, Adrien Many, porte-parole et benjamin du groupe, a particulièrement apprécié « The Timekeepers of Eternity », ovni cinématographique venu de Grèce. Une histoire de papier et de cauchemars « un peu trop perchée pour nos centres de vacances », concède Adrien.
À l’image de ses camarades, Monique Léger, première bénéficiaire à entrer dans le jury des Activités Sociales du festival l’an dernier, se sent elle aussi tiraillée. Choix du cœur ou de la raison ? Comme Christophe, elle a trouvé le film réunionnais remarquable. Ils ont longuement échangé tous les deux à ce sujet.
Après cinq jour d’échanges, la décision d’un groupe
Monique a également été très sensible à l’empathie qui se dégage de « Planète triste », fiction autour de la rencontre douce-amère entre un réalisateur un peu paumé et des lycéens en banlieue parisienne. Quant à Bernard Mathieu, le cinquième membre du jury, il a été charmé par « 7 h 15. Merle noir », une ode assez énigmatique aux oiseaux et à la forêt. « Je suis sensible à ce cinéma qui ne dit pas tout, qui te laisser deviner et qui te surprend », indique-t-il.
Mais l’heure tourne et il est temps de prendre une décision collective. Au bout de quarante-cinq minutes d’échanges, le verdict s’impose de lui-même : c’est « Planète triste », de Sébastien Betbeder, qui obtient le prix des Activités Sociales.
Ce film – pas du tout triste – est à la fois un choix de raison et de cœur. Le jury décide aussi de décerner une mention spéciale à « Lèv la tèt dann fénwar ». Adrien attrape son téléphone et annonce la nouvelle à la secrétaire générale du festival.
« Nous avons fait le choix de la sensibilité, de la fraîcheur et de l’optimisme dans un monde pas toujours tendre. Le choix de la tolérance et du vivre-ensemble, de la bienveillance et de l’entraide », explique Adrien à propos de « Planète triste », lors de la cérémonie de clôture.
Cinq jours de festival, 22 moyens-métrages à visionner, des rencontres avec des réalisateurs, des critiques de cinéma, des médiatrices des Activités Sociales… Être membre de jury au festival de cinéma de Brive est un engagement très gratifiant, reconnaissent à l’unanimité les cinq jurés.
Ce temps pendant lequel on aiguise son regard sur le monde est un peu suspendu. C’est une « riche aventure », déclare Christophe. C’est « une possibilité de voir des choses qui viennent nous bousculer », ajoute Adrien. Une expérience qui permet de « partager ce qu’on ressent », estime Bernard. « Des moments conviviaux où l’on peut vraiment s’exprimer en toute sincérité », selon Monique.
Des jurys populaires dans sept festivals
Le festival du moyen-métrage de Brive est loin d’être le premier à accueillir un jury composé de bénéficiaires. En l’espace d’une vingtaine d’années, la CCAS et les CMCAS concernées en ont constitué des jurys dans six autres manifestations. Dont quatre dans des festivals de cinéma : Premiers Plans (à Angers), Cinélatino (à Toulouse), le Festival international du grand reportage d’actualité (Figra, à Douai) et Cinémed (à Montpellier).
À Cinémed, le jury, intégré dans une colonie de vacances, est constitué d’adolescents âgés de 15 à 17 ans.
Il existe également un jury de bénéficiaires au festival Momix (à Kingersheim, en Alsace), festival de spectacles destinés au jeune public, ainsi qu’au Printemps de Bourges.