Ils s’occupent de leurs petits-enfants et parfois de leurs parents dépendants, consacrent beaucoup de temps aux associations, font vivre les conseils municipaux… De plus en plus nombreux, les retraités jouent un rôle crucial. La société profite de leur implication quand l’économie voit en eux un marché d’avenir.
« Avez-vous anticipé et évalué les conséquences de votre réforme [des retraites] sur la dynamique de l’engagement ? » C’est ainsi que le 15 février 2023, au palais du Luxembourg, à Paris, la sénatrice Guylène Pantel s’adresse au gouvernement. L’élue socialiste de Lozère s’inquiète des « effets que peut avoir le recul proposé de l’âge légal de départ à la retraite sur l’engagement politique et associatif local ». Selon elle, cette période de la vie « est l’occasion pour bon nombre de personnes de franchir le pas d’une candidature à l’élection municipale de leur village ou d’être administrateur et bénévole d’une association culturelle, sportive ou sociale ».
L’intervention de la sénatrice au cœur de la mobilisation contre la réforme des retraites s’est accompagnée de multiples tribunes de responsables associatifs et politiques sur ce thème. « Un senior sur trois est membre d’une association », révèle l’Institut français des seniors (IFS) dans son baromètre annuel publié en février 2023. Ils occupent souvent des responsabilités au sein de ces structures et y consacrent plus de temps en moyenne que le reste de la population.
À titre d’exemple, l’association Lire et faire lire (dont la CCAS est partenaire), qui intervient auprès des enfants pour leur proposer des lectures à voix haute, compte 87 % de bénévoles de plus de 60 ans.
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« Sans les retraités, le monde associatif peut fermer ! »
Serge Guérin, sociologue du vieillissement, n’hésite pas à l’affirmer : « Sans les retraités, le monde associatif peut fermer ! » Selon une vaste étude réalisée il y a deux ans par la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) des Hauts-de-France auprès de 13 365 seniors, plus d’un tiers d’entre eux n’avaient pas d’engagement associatif avant de cesser leur activité professionnelle. Les personnes nouvellement pensionnées « constituent bien un réservoir de renouvellement pour l’engagement », notent les auteurs de l’étude.
Quitter le monde du travail, c’est aussi une opportunité pour occuper un nouveau rôle au sein de la société. Celui de pivot entre les générations. « Cette génération [des plus de 65 ans, ndlr] est celle à laquelle on demande de “combler tous les trous” : s’occuper de leurs parents qui vieillissent ; garder leurs petits-enfants car les jeunes générations sont moins aidées financièrement par l’État que les générations précédentes ; éventuellement travailler encore », observe Isabelle Persoz, déléguée générale de l’association Tous Bénévoles.
Les 17 millions de Françaises et de Français seniors jouent aussi un rôle économique fondamental auprès de leurs enfants, en les aidant par exemple à financer leurs projets immobiliers. Ils sont plus généreux que les autres générations : ils donnent régulièrement de l’argent à des associations. Et puis, de manière plus générale, une partie d’entre eux disposent de bons revenus et globalement ils ont une épargne élevée. D’ailleurs, leurs moyens financiers excitent les convoitises.
En décembre 2013, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, service du Premier ministre, publiait un rapport étonnant, intitulé « La silver économie, une opportunité de croissance pour la France ». Les auteurs voyaient dans l’augmentation du nombre de pensionnés une véritable mine (d’argent) sous-exploitée.
Les seniors laissent dormir leur épargne dans leurs bas de laine ? Créons un « livret argenté » (sic) pour relancer l’économie. Ils veulent rester autonomes le plus longtemps possible ? Développons des services autour de la téléassistance à l’attention des « plus aisés » (sic). Né il y a une dizaine d’année, le concept de « silver économie » est le révélateur de la place accordée aux retraités dans l’avenir de l’économie.
Une érosion du bénévolat associatif chez les plus de 65 ans
Les aînés ne sont pas une catégorie sociale immuable. Ceux de demain ne seront pas les mêmes que ceux d’aujourd’hui, prévient le sociologue Serge Guérin : « Les nouveaux retraités seront des enfants de l’individualisme. Seront-ils autant impliqués dans les associations ou dans les conseils municipaux ? », se demande-t-il.
Les enquêtes menées par l’Ifop montrent déjà une nette érosion du bénévolat associatif chez les plus de 65 ans depuis 2010. Un autre problème se profile : « Les retraites de demain seront moins élevées que celles d’hier. Or, si vous avez moins d’argent, vous aurez peut-être besoin d’un complément de revenus et vous ferez moins de bénévolat », souligne le sociologue.
Au cours des vingt dernières années, l’espérance de vie a augmenté de deux ans en France. Le vieillissement de la population va se poursuivre pendant encore des dizaines d’années, prédisent les démographes. Serge Guérin reste convaincu que les seniors peuvent jouer un rôle central dans les décennies à venir à condition que nous changions de regard sur eux. Dans son dernier ouvrage, « Et si les vieux aussi sauvaient la planète », paru en janvier, il balaie d’un train d’humour l’image des « boomers » qui seraient d’incorrigibles pollueurs : « En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des aînés ! »
« S’engager pour l’autre, c’est partager du commun »
Christian Borne, président de la Commission pensionnés de la CCAS, rappelle l’importance de l’engagement des inactifs dans la vie des Activités Sociales. Une participation essentielle tant pour eux-mêmes que pour transmettre les valeurs des IEG.
Quelle place occupent les retraités au sein des Activités Sociales ?
Christian Borne – Les Activités Sociales ont une particularité que l’on ne voit pas ailleurs : elles bénéficient à tous les agents, actifs et inactifs ! Ainsi un agent peut en profiter jusqu’à la fin de sa vie, car elles font partie du statut.
Cela signifie qu’un lien est maintenu entre l’entreprise, les actifs et les agents partis à la retraite par le biais des activités mais aussi par l’engagement (SLVie, commissions, etc.), ce que l’on nomme le Par et le Pour.
Ce lien est une forme de considération et de reconnaissance : on reconnaît comme acteur un retraité investi dans l’encadrement d’un séjour vacances ou dans l’organisation d’une activité, par exemple. En donnant la possibilité aux inactifs de rester en contact avec le quotidien, les Activités Sociales les aident à vieillir moins vite.
Des éléments comme le récent recul de l’âge de la retraite ou le développement d’une forme d’individualisme vous font-ils craindre pour l’avenir de l’engagement des retraités ?
Je ne pense pas que ces éléments menacent le Par et le Pour. Le report de l’âge de la retraite est une catastrophe et on peut supposer que les futurs retraités s’engageront plus tardivement. Mais à nous d’aller chercher ces agents pour les inciter à s’investir avant leur inactivité. Il est essentiel que nous montrions l’utilité des Activités Sociales en termes de transmission, de mémoire, de savoir, d’enrichissement personnel, etc.
S’engager pour l’autre, aller à son contact, c’est apprendre à mieux le connaître et à partager du commun. Tout ce qui est fait localement, dans les SLVie notamment, contribue à conserver ce qui constitue la vie sociale. De mon point de vue, la réelle menace est la diminution des moyens bénévoles.
Justement, l’engagement des inactifs peut-il être une alternative à la baisse des moyens bénévoles ?
Le croire serait renier et revenir sur l’histoire et la philosophie des Activités Sociales. L’engagement des retraités peut venir en complément des moyens bénévoles mais pas pallier leur diminution. Les retraités ne doivent être en aucun cas un palliatif, d’abord en raison de l’accord moyens bénévoles acté avec les employeurs [le premier date de 2018, le deuxième porte sur la période 2023- 2029, ndlr] : cet accord cadre les moyens humains [le détachement d’agents actifs, ndlr] à allouer par an.
Et puis, la richesse des Activités Sociales repose sur la dimension intergénérationnelle, le fait que se côtoient tous les milieux sociaux et toutes les tranches d’âge. En cela, les Activités Sociales favorisent le lien social, elles permettent de lutter contre l’isolement et perpétuent l’esprit des IEG et son histoire. Il nous faut donc continuer à défendre nos Activités Sociales et à nous battre pour avoir des moyens humains et financiers à la hauteur des besoins. C’est un combat permanent.
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